Connexion
Elle se sentait vide, invisible, transparente. Pourtant à la terrasse de ce café, il y avait au moins vingt personnes. Mais elle se sentait tout de même seule.
Les uns travaillaient sur leur ordinateur, les autres jouaient sur leur Smartphone, d’autres encore faisaient on-ne-sait-quoi sur leurs tablettes. Même le petit enfant était scotché sur son jeu vidéo avec de gros écouteurs sur les oreilles. Bizarrement personne ne parlait.
Elle se sentait impuissante. Elle ferma les yeux et sentit la chaleur du soleil sur son visage. L’odeur du café envahissait l’air. Elle se sentait vide mais vivante. Tristement vivante.
À l’autre bout du monde, son amie souffrait. Elle avait donné des signes de vie de temps en autre, mais le dernier message était venu de son mari. L’hôpital.
Connectée, elle l’était aussi, comme toutes ces personnes, attendant chaque seconde que la sonnerie de son téléphone lui indique un nouveau message.
Mais elle avait envie de bien plus. Elle avait envie de la serrer dans ses bras. De lui dire « Tiens bon ! » « Ce n’est qu’un mauvais moment à passer ! » « Courage ! ». Et lui dire encore combien elle comptait pour elle.
Elles s’étaient connues lors d’un échange linguistique, il y avait plus de dix ans. Elle avait découvert le Japon, elle lui avait découvrir la France. Et puis elles étaient chacune retournées dans leur pays. Le temps avait passé mais le lien était resté. Elles s’étaient toujours épaulées. Elles s’écrivaient régulièrement, elles se téléphonaient, puis avec l’arrivée d’Internet, elles s’étaient montrées leur vie à travers l’écran. Les réseaux sociaux leur avaient permis d’échanger leur vie de tous les jours. Mais elles étaient arrivées à la limite de ces communications.
Elle ouvrit les yeux et regarda le ciel. Il faisait déjà nuit au Japon. L’opération était en cours. Encore une heure peut-être deux. Vide. Elle n’arrivait pas à penser à autre chose. La rejoindre coûtait trop cher. Elle avait imaginé toute sorte de financement mais le temps lui avait manqué. Elle se retrouvait donc coincée ici.
Une larme s’échappa.
Un homme vint s’assoir sur le siège à côté d’elle. Elle sursauta. Puis comprit lorsqu’elle vit la canne blanche. Il se tourna vers elle.
« Vous permettez ? »
« Bien sûr ! »
Ils restèrent silencieux un instant.
Soudain, il tira de sa poche un mouchoir qu’il lui tendit.
« J’ai l’impression que vous avez besoin de ça, mais j’espère que je me trompe ! »
« Malheureusement non, votre mouchoir est bienvenu, merci. »
Elle le prit délicatement et s’essuya les larmes. Et puis elle lui dit. Elle se confia. Elle raconta tout à ce parfait inconnu. Les mots faisaient du bien. Les souvenirs étaient doux.
L’homme regardait toujours droit devant lui, hochait la tête de temps en temps, posait quelques questions pour avoir des précisions.
« Et maintenant, pensez-vous que l’opération est terminée ? » finit-il par dire.
Elle regarda sa montre.
« Oui, je crois. »
Elle regarda de nouveau son Smartphone, elle avait un message. Son amie venait de reprendre connaissance et elle semblait aller bien. Elle répondit, tapant rapidement, folle de joie. Elle eut tout de suite la réponse. Son amie avait emprunté le téléphone de son mari et lui répondait directement !
Elle leva la tête pour annoncer la bonne nouvelle à l’homme.
Il avait disparu.
