Rêve américain
Il n’en pouvait plus. Son travail, sa famille, ses responsabilités. Trop de pression. Il avait décidé de prendre la tangente. Non, il n’avait pas abandonné tout son monde sans rien dire. Il les avait prévenu. Trois semaines de vacances. Destination inconnue. Un break, un vrai.
Les valises dans le coffre, il démarre le moteur. Sa femme et ses enfants lui font signe de la main. Il se rend compte combien ils sont formidables. Le laisser partir ne doit pas être chose facile pour eux. Il recule le long de l’allée, braque et fait demi-tour. Il baisse la fenêtre pour laisser passer son bras et faire un dernier signe de la main, tout en s’éloignant.
L’aventure commence, se dit-il.
Il sait exactement où aller et il roule plusieurs jours pour s’y rendre. Expatrié aux États-Unis depuis plusieurs années, il n’avait jamais eu l’occasion de faire ce « road-trip ».
Chaque jour, il s’arrête dans un motel différent trouvé au petit bonheur la chance. Il parle peu, ne voit pas grand monde. Ça lui convient. Son voyage est aussi intérieur. Les kilomètres défilent et il voit bientôt au loin sa destination : Monument Valley.
Une vaste plaine sans fin et au milieu ces rochers, seuls restes d’un ancien temps.
Sur place, il fait une photo de lui avec son téléphone portable et commence un email pour sa famille. Il ne l’envoie pas. Il veut se déconnecter, complètement.
Il voit une randonnée que l’on peut faire à pied et décide de prendre le chemin. C’est midi et le soleil tape fort. Le manque d’activité physique des derniers jours le rattrape. La fatigue le gagne. Il se rend compte qu’il n’a peut-être pas prévu assez d’eau. Il avance doucement. Essuie régulièrement la sueur qui coule dans son cou. Il croyait que la randonnée allait être courte mais il se rend compte qu’il a mal estimé le parcours.
Il voit un arbre au loin : de l’ombre enfin ! Il décide d’aller s’y reposer. Mais en arrivant plus près, il voit que quelqu’un s’y trouve déjà. Un indien est assis sur un rocher et semble méditer. Lorsqu’il passe devant lui, l’indien ouvre soudain les yeux. L’homme sursaute. Le regard est fixe. Il regarde droit devant lui. D’une voix monotone, il dit :
– Je ne te vois pas mais tes émotions sont tellement fortes qu’elles ont frappé mon esprit.
– C’est, c’est à moi que vous parlez ?
Il passe la main devant les yeux de l’indien. Celui-ci ne bronche pas. Son regard est toujours fixe.
– Retrouve les tiens, tu n’appartiens pas à ce monde. Ta paix ne se trouve pas dans ces lieux.
L’homme hésite, puis décide de s’assoir tout de même à côté de l’indien pour profiter un peu de l’ombre. Il regarde autour de lui. La désolation du lieu le frappe. La sécheresse. L’immensité aussi. Il se sent minuscule. La tête lui tourne. Il n’a plus d’eau depuis plus d’une heure. Le soleil l’éblouit. Il perd connaissance.
Le bruit et la vibration de l’hélicoptère lui font reprendre conscience. Il est emmené d’urgence vers un hôpital. Il se sent arraché à son rêve américain et remit de force dans la dure réalité de la vie. On lui demande son numéro de sécurité sociale, son numéro de carte bleu, son numéro de police d’assurance. C’est ainsi qu’il est défini dans le fichier, par des numéros.
Rien de grave bien sûr. Une déshydratation. Son corps lui rappelle douloureusement qu’il est vivant.
Sa famille a été prévenue. La connexion a été rétablie. Aïe. Il n’avait pas envie qu’ils s’inquiètent. Après tout, tout allait pour le mieux.
Enfin autorisé à sortir, il met ses habits. Que va-t-il faire maintenant ? Il lui reste encore une semaine. Il ne sait pas où aller.
Il sent quelque chose au creux de sa poche. Il met sa main et sent des plumes, des fils, une structure ronde. Il tire doucement l’objet. Un attrape-rêves. Il sourit.
Il sait maintenant qu’il est prêt à rentrer chez lui.